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Annie Dreuille
18 décembre 2010

Jacques JULLIARD

(Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty diffusée sur RCF Saône & Loire le 19/12/2010)

Dans le monde de la presse, un petit évènement n’est pas passé inaperçu : la  décision de Jacques Julliard de quitter, à 77 ans,  le Nouvel Observateur dont il était une figure historique, pour devenir éditorialiste à Marianne. Ce « transfert », pour parler le langage de footballeurs, pourrait n’offrir d’intérêt que pour ceux que passionnent les jeux de pouvoirs et de carrières du microcosme journalistique. Mais cet ancien dirigeant de la CFDT, représentant de ce qu’on a appelé « la deuxième gauche rocardienne », éclaire ce choix à la lumière du combat qui l’a toujours animé contre ce « cataclysme » que Charles Péguy, dès début du XXe siècle, dénonçait en ces termes :

« Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et du même mouvement et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un même mouvement qui est le même ont été refoulées par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. (…). L’appareil de mesure et d’échange et d’évaluation a envahi toute la valeur qu’il devait servir à mesurer, échanger, évaluer. L’instrument est devenu la matière et l’objet et le monde » (1).

Dans un entretien passionnant qu’il a donné à l’hebdomadaire, Témoignage Chrétien, (2) Jacques Julliard explique ainsi sa démarche : « J’ai cru pendant longtemps que le capitalisme était en train de se civiliser sous l’influence des évènements de la guerre et de la Libération, à travers un compromis historique entre le patronat et les forces sociales progressistes.(…) Mais la crise de 2008 a révélé qu’un capitalisme d’actionnaires et de propriétaires indifférents au compromis social avait succédé au capitalisme de managers de l’après-guerre. Les impératifs de rentabilité financière immédiate ont mis fin au dialogue social. Une partie de la gauche, notamment celle à laquelle j’appartenais, n’a pas su assez rapidement renouveler ses analyses.  Il ne s’agit pas de savoir si l'on est réformiste ou pas : pour être réformiste, il faut être deux. Or la deuxième gauche est restée réformiste et modérée alors que son interlocuteur, le capitalisme, s’est complètement radicalisé. (…) Même les forces de droite n’ont plus le minimum de maîtrise de l’appareil financier et bancaire pour imposer des règles prudentielles ».

Pour sortir de la crise actuelle, il est urgent de remettre au cœur de l’économie des valeurs fondamentales telles que la gratuité et la solidarité pour échapper à la vulgarité et à l’injustice de la marchandisation généralisée. Dans un essai publié il y a deux ans et intitulé L’Argent, Dieu et le Diable, Jacques Julliard reprenait  les thèses sur « l’économie du don » que François Perroux avait développé au lendemain de la guerre : « L’économie politique ne saurait se réduire à une somme de recettes pour maximiser le profit ; ou bien elle n’est qu’une petite facilité de banquiers et de guichetiers au sein d’un univers abstrait, déshumanisé et dérisoire, ou bien elle a le devoir de se hisser à la hauteur d’une anthropologie pour temps actuels. L’économie politique ne saurait être seulement la science des riches ; elle doit devenir la science des pauvres, voire l’Evangile des nations. En un mot, la gratuité est en train de sortir du domaine de la charité, au sens affadi du terme, pour entrer dans celui de la justice et même de l’ordre » (3).

La fête de Noël que la société marchande voudrait noyer dans l’émotion facile et la consommation nous rappelle que la gratuité et la solidarité sont au cœur de toute vie en société.

     (1) Charles PEGUY : Note conjointe sur M Descartes et la philosophie cartésienne in       Œuvres en prose complètes, Tome 3, Bibliothèque de la Pléiade, Editions Gallimard 1992, pages 1455-1456.
 
(2)  Jacques JULLIARD : Le capitalisme s’est radicalisé. Entretien avec Sébastien Lapaque in Témoignage Chrétien du 16 décembre 2010, pages 5 à 8.

(3)  Jacques JULLIARD : L’Argent, Dieu et le Diable. Péguy, Bernanos, Claudel face au monde moderne. Editions Flammarion, 2008, pages 176-177.

 

 

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