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Annie Dreuille
14 septembre 2010

Objectif commun salariés et chômeurs

 

OBJECTIF COMMUN SALARIES ET CHOMEURS

LE SYNDICAT DES INTERMITTENTS

 En revisitant toutes ces années de la maison des chômeurs je me rends compte à quel point la réflexion militante novatrice que nous organisions le plus souvent et à laquelle nous participions aussi à l’invitation d’autres associations, a marqué notre originalité dans le paysage associatif toulousain. Je n’ai pas entendu beaucoup de débats publics sur le revenu d’existence depuis cette époque, sur la représentation des chômeurs, sur l’évolution des cumuls envisageables pour les bénéficiaires des minima sociaux avec la reprise d’une activité à temps partiel, sur la sécurisation des emplois devenus flexibles. En revanche la plupart des  politiques de l’emploi assènent de nouveaux contrats sans concertation. La recherche de sécurité dans le pays, ne vise pas du tout les parcours professionnels instables qui deviennent de plus en plus  les nôtres en France et en Europe, mais   les  comportements violents de jeunes chômeurs  habitant dans des quartiers où le taux de chômage atteint jusqu’à cinquante pour cent. Tous ceux et celles jeunes, que j’ai rencontrés et parfois bien connus sur leur chemin « de galère » au démarrage de la maison des chômeurs ont vingt ans de plus aujourd’hui et la situation n’a fait qu’empirer. La politique de l’emploi consiste à faire « la guerre aux chômeurs  et non pas au chômage.»(1) 

VINGT ANS APRES L’INTERMITTENCE A GAGNE DU TERRAIN

 L’ANPE ne comptabilise comme chômeurs qu’une seule catégorie, celle de la personne au chômage qui est immédiatement disponible et qui ne recherche qu’un emploi à temps plein. Béatrice DILLIES,(2) journaliste à la Dépêche du Midi précise « les gouvernements de droite comme  de gauche se sont entendus depuis longtemps pour exclure des statistiques du chômage les demandeurs d’emploi qui cherchent un travail à temps partiel ou en intérim, comme ceux, qui pour des raisons diverses, ne sont pas immédiatement disponibles … ». Il faudrait aussi pour refléter la réalité ajouter les personnes au RMI et celles qui cherchent un emploi par leur propre moyen sans être inscrites à l’ANPE. Que chacun sache, quand il entend les chiffres du chômage, qu’il faut les multiplier par trois. Il m’est arrivé publiquement au cours de colloques et débats d’annoncer des chiffres deux à trois fois plus importants que ceux annoncés par les institutions, sans en recevoir le moindre  démenti. C’est le cas aujourd’hui pour cette journaliste à Toulouse qui n’est pas démentie par l’ANPE de la Haute Garonne ! La politique qui consiste à radier le plus possible est dégradante pour notre pays. Des agents de l’ANPE commencent à  dénoncer cette pratique aujourd’hui en prenant des risques pour leur propre emploi. Les fonctionnaires sont-ils condamnés au silence dans un pays où l’on est très attaché à la liberté et à la citoyenneté ? Il est étonnant de penser que leur fonction représente l’ « idéal » de sécurité à atteindre  et que beaucoup voudraient la voir se généraliser dans les entreprises. C’est l’utopie syndicale qui nous est proposée aujourd’hui. Elle a un prix : le chômage massif, structurel et de longue durée comme l’exprimait Maurice PAGAT dans les années mille neuf cent quatre-vingt.

Les syndicats veillent sur les leurs, ignorent ou ne veulent pas voir le potentiel d’emplois  qu’il faudrait sécuriser et  qui correspond  aux souhaits de ceux et celles qui ne recherchent pas un emploi à plein temps et qui ne sont pas immédiatement disponibles. La stratégie syndicale consiste à  contester le  changement qui remettrait en cause le modèle du CDI pour tous et à plein temps.

Ce n’est pas le cas des syndicats nordiques, dans ces pays « la flexibilité est un concept réciproque, partagé entre l’employeur et l’employé. » Pourquoi ne pas essayer en France  de conduire officiellement une réflexion prospective sur d’autres contrats si l’on veut que les entreprises embauchent ? Réflexion à conduire avec les associations de chômeurs auxquelles les syndicats pourraient accorder le crédit  de leur vingt ans d’expérience. La flexibilité c’est de la création d’emplois possible. La sécurité concerne les personnes ; pour protéger ces personnes créons de nouveaux droits. Donnons-nous ensemble l’objectif de créer un syndicat des intermittents. Cette intermittence est connue dans le monde des acteurs culturels et des techniciens du spectacle – en crise aujourd’hui – ; elle occupe aussi  un important espace de l’offre d’emploi, sans être protégée et par conséquent elle est abandonnée à la précarité.

 

Le syndicat des chômeurs n’a pas pu  voir le jour ! En fallait-il un ? Résultat : aujourd’hui  syndicats et associations de chômeurs sont faibles, toutes proportions gardées. Si l’on change de stratégie, on ouvrira un avenir  commun avec plus de force. L’utilité d’un syndicat des intermittents  est évidente. Dans notre pays on n’est pas à un syndicat près. Les partenaires sociaux qui siègent à l’UNEDIC sont au nombre de huit, trois organismes patronaux, cinq confédérations syndicales. Ils sont nommés par décret gouvernemental et ne sont donc ni éligibles, ni révocables : CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC pour les salariés et le MEDEF, CG PME, UPA pour les employeurs ! Le syndicat des intermittents naîtra  du dialogue et de l ‘alliance des syndicats  et des associations de chômeurs. La faiblesse numérique à l’intérieur des syndicats doit nous interroger. Elle représente huit pour cent des salariés ! Chercher à infléchir cette tendance est capital pour tous. Cette tendance  ne s’infléchira pas sans que les chômeurs et les précaires n’ aient envie de rejoindre les syndicats. Pour les rejoindre réalisons un rapprochement  maisons des chômeurs et syndicats. Les maisons connaissent bien les trajectoires insécurisées des chômeurs, compte tenu de leurs entretiens d’accueil et de leur pratique des CV.

 MAISONS DE CHOMEURS, LES REPRESENTANTS DU REEL 

 Dans son billet « en marge » du Nouvel Observateur Jean-Claude GUILLEBAUD(3)  dénonce l’éloignement du réel et la représentation qu’en donnent les institutions : « Les représentations institutionnelles du réel ne fonctionnent plus. Les discours s’exténuent, la pratique patine… or dans le sous-sol du théâtre social, quelque chose pousse, des réalités autres sont en germination, des paroles et des dissidences fusent et s’échappent du moindre interstice…. Ainsi cet étrange « discord » entre l’institutionnel et la réalité « vraie » ne fait-elle que signaler en creux l’énormité du changement, non point seulement d’époque mais d’ère. »

Changer d’ère, j’ai déjà entendu cette formule chez Jacques ROBIN. (4) 

 

Durant toutes ces années nous avons pris l’initiative dans les maisons des chômeurs d’assurer dans le vide social énorme des années quatre-vingt-quatre, quatre-vingt-cinq, un accueil convivial, des services, des activités, évoluant nécessairement au fur et à mesure que d’autres  reprirent  à leur compte ce que nous avions initié. Notre existence participe certainement à favoriser la bonne conscience des décideurs. Ces lieux doivent continuellement innover pour se protéger de l’occupationnel. Nous avons cru possible de conduire aussi une action militante. Les pionniers de ce mouvement des chômeurs ont réalisé très tôt que le chômage « massif, structurel et de longue durée » annonçait ce changement d’ère. Par conséquent il paraissait utile d’interroger les modèles de référence. Aujourd’hui on peut dire sans trop se tromper qu’ aucun mouvement ne pourra arrêter la mondialisation dans laquelle nous sommes tous embarqués. Il faut certes lui donner des cadres et des lois, et c’est le travail de l’Europe. Nous devons inventer  comment travailler tous dans ce contexte nouveau pour les entreprises  aussi. C’est ce que nous avons balbutié tant bien que mal durant ces années de recherche d’un nouveau militantisme. Ces efforts, très souvent à contre-courant, nous ont  fait remarquer, par certains, dans le paysage social, sans pour autant être pris  au sérieux. Cette action militante nous a protégés, nous ne sommes pas devenus un service social bis. Positivement nous avons suscité un apport au travail social traditionnel dans cette appréhension collective et non individuelle du chômage. Nous n’avons pas travaillé main dans la main avec les syndicats, trop corporatistes, disions-nous. Peut-être aujourd’hui est-il l’heure, pour les syndicats et les maisons des chômeurs, de chercher le bon passage, ensemble à la vitesse supérieure afin que ce militantisme progresse en force sociale influente et nouvelle.

 CONSOLIDATION D’UNE UNITE MILITANTE DE CHOMEURS :

UN EXEMPLE DE DEMOCRATIE PARTICIPATIVE

Je ne connais pas un animateur de maison de chômeurs, - reconnue et financée pour le travail qu’elle accomplit,- qui ne soit complètement écrasé par la masse de travail complexe, nécessitant beaucoup d’énergie, qu’il doit fournir au quotidien. Vivre dans des situations professionnelles précaires et ne rencontrer que des personnes encore plus en difficultés et pour lesquelles les solutions de logement, de travail, font défaut, cela ne laisse plus beaucoup de temps pour bâtir un projet militant, écrire et communiquer. Or ce travail social original d’accueil, rassemblant des réponses et des services sur le même lieu de vie, a envahi les maisons des chômeurs. Elles n’en demeurent pas moins une réponse collective fragile de résistance et de défense des droits. Cependant isoler  une unité militante protégée de la lourdeur du travail quotidien des maisons, et en lien avec elles par des détachements partiels des animateurs eux-mêmes, permettrait d’aller au-delà de la seule défense des droits. Les revendications annoncées très tôt dans ce « syndicat des chômeurs » de Maurice PAGAT ont traversé les années et sont, quoique discutables, défendables encore aujourd’hui.  Selon les années c’est tel ou tel aspect qui a été étudié et mis en avant. Cette approche a suscité des reproches d’adversaires mais aussi des sympathies nationales et locales : « Je me retrouve bien dans cette dualité entre prise d’initiative et revendications. C’est potentiellement un possible bouleversement dans l’action politique que d’allier ces deux versants d’une même action. L’action seulement contestataire confine à la marginalité et surtout ne démontre pas sa capacité à l’alternative, mais l’initiative uniquement ne permet pas à elle seule de provoquer le changement, et surtout peut servir de prétexte à l’inaction du pouvoir. »(5). L’alternative aujourd’hui est-elle seulement dans le mouvement altermondialiste qui rassemble  les grands problèmes de notre société et renvoie la question centrale pour l’avenir, à savoir celle du chômage, à être dissoute dans l’ensemble ? A y regarder de près, la société civile s’organise, conteste, ( finit par se lasser ?) mais quel est son pouvoir ? Au bout du compte le pouvoir est aux forces représentatives politiques et syndicales. Que faire pour que ces forces représentent mieux le « réel » ? La démocratie participative est à mettre en œuvre à plusieurs niveaux : le syndicat des intermittents, issu de la collaboration des syndicats et de l’unité militante des chômeurs,  pourrait être un exemple  de démocratie participative en acte au sein du syndicalisme « traditionnel ».  Ce rapprochement pourrait ouvrir une porte sur l’avenir des nouvelles trajectoires professionnelles à inventer pour demain. « Emploi et société de demain ? », nous posions déjà cette question au cours du premier colloque toulousain avec Michel VINTROU en mille neuf cent quatre-vingt-huit. Collaborer avec des chercheurs est indispensable, mais prioritairement des  chercheurs qui attachent beaucoup d’importance dans leurs travaux à la citoyenneté de chacun, au respect de l’autre. Ceux et celles qui ont collaboré avec la maison des chômeurs de Toulouse et le Réseau, ont le plus souvent apporté un éclairage indispensable à nos actions.

Une des missions d’un syndicalisme renouvelé pourrait être l’organisation de ce que furent les Etats Généraux du chômage et de l’emploi, mais cette fois-ci à l’initiative des syndicats  sachant comme l’écrit Hannah ARENDT  qu’il nous faut accepter d’apprendre toujours et encore et non pas nous enfermer dans des certitudes immuables : « j’ai appris à penser historiquement et politiquement . Cette notion d’apprentissage est capitale, elle suppose qu’il y a de l’incertain, tout simplement des choses à apprendre. La pluralité précède l’individu . C’est cela, la politique : l’expérience du commun, la mise en commun des actes et des paroles, animés par un goût de vivre ensemble. ».(6).

 EN PARTANT DU REEL, UNE PROPOSITION CONCRETE DE RAPPROCHEMENT MAISONS DES CHOMEURS ET SYNDICATS

Depuis la loi contre l’exclusion et la constitution du CNLE, une petite avancée, dans le sens de la représentation ou de la participation des chômeurs, a permis d’ installer des représentants d’associations de chômeurs dans des Comités de liaisons de l’ANPE. Il faudrait pouvoir mieux exploiter cette possibilité plutôt que de la laisser s’éteindre, ce qui semble bien être le cas aujourd’hui.

Il serait nécessaire de former ces représentants chômeurs à occuper cette fonction :

-         Les centres de formation des syndicats pourraient  préparer des chômeurs désignés par leur association à remplir ce mandat.

-         Ce faisant et dans l’hypothèse d’un accord de type conventionnel accepté, il n’est pas trop illusoire de penser que des synergies pourraient s’établir entre ces représentants de chômeurs et les agents de l’ANPE, – eux-mêmes syndiqués - qui refusent  de servir la politique du nombre  au détriment de la politique d’accompagnement d’hommes et de femmes  à la recherche d’un emploi.

-         L’éloignement  du syndicalisme français et des chômeurs apparaît d’autant plus néfaste à de nouvelles avancées sociales, quand on les compare, encore une fois, aux syndicalismes des pays nordiques. Leur expérience révèle que les services aux chômeurs étant organisés par les syndicats il n’y a pas le fossé qui existe en France entre syndicats et chômeurs. « L’existence d’un syndicalisme de services qui souligne que les syndicats ont eu longtemps une relation étroite avec les caisses d’assurance chômage et chaque syndicat avait sa caisse à laquelle ses membres adhéraient. »(7)

-          La proposition de Jean-Baptiste de FOUCAULD concernant le chèque associatif ou syndical pourrait être relancée. Elle faciliterait l’adhésion de chômeurs, susceptibles d’être séduits par une nouvelle politique syndicale les concernant, enfin, et qui se risqueraient sur des voies expérimentales chargées d’une utopie nouvelle et nécessaire, seule susceptible, dans l’alternance actuelle du climat social  de morosité ou de révolte, de pouvoir susciter une adhésion massive.

 Quelle terrible peur de l’avenir habite les jeunes pour qu’ils s’accrochent à un modèle de temps plein, toute la vie et dans le même endroit, modèle  qui ne fonctionne déjà plus pour leurs parents. C’est cette peur qu’il faut apaiser avec des solutions au problème et non pas le chômage comme solution au problème.

L’objectif visé est donc de trouver un terrain de rapprochement ; le situer autour de l’ANPE  et des Comités de liaisons est à portée de mains.  L’apport de nouveaux adhérents issus du chômage  introduirait, à l’intérieur du syndicalisme, d’autres approches de l’emploi et d’autres revendications, apport des chômeurs, qui refléterait aussi beaucoup mieux le réel non dit,  des différentes situations de ceux et celles qui veulent travailler sans y parvenir.

 ORGANISER L’ALTERNANCE EMPLOI ET CHOMAGE SANS DRAME

Dans cette perspective de rapprochement des syndicats et d’une unité militante de chômeurs issus des maisons des chômeurs, il faudrait rechercher ensemble la sécurisation des parcours professionnels précaires. Transformer la précarité inhérente aux fins de contrats courts, CDD, intérim, en alternance anticipée, - celle que l’ANPE ne veut pas compter - offrirait la possibilité d’une alternative aux seuls contrats CDI, voire la possibilité d’un choix nouveau pour les demandeurs d’emploi face au marché de l’emploi. Elle permettrait de vivre l’alternance des périodes de chômage, courtes et bien indemnisées, sans que cela soit un drame. Travailler en intermittence sans choc financier peut devenir, aussi, une perspective séduisante.

 L’exemple des pays nordiques est à regarder même si nos traditions ne sont pas les mêmes. « Pour une partie non négligeable de la main d’œuvre, ces périodes de chômage sont davantage des périodes de transition que de drame, d’autant que l’ indemnisation du chômage reste stable pendant plusieurs années …. Les minima sociaux n’ont rien à voir avec les nôtres. Les règles sont fixées par l’Etat mais négociées avec les syndicats et les associations…. » « Le temps partiel nordique est choisi et n’est pas devenu une forme de gestion flexible de la main d’œuvre…» Dominique MEDA poursuit : « L’autre obstacle sur notre route est l’idéologie : nous aimons théoriser, ou plus exactement placer nos réformes dans des cadres de références idéologiques qui ont été  souvent d’origine marxiste ou anti- marxiste, quand la manière de travailler des Nordiques est essentiellement pragmatique »(8).

Cette démarche pragmatique est rassurante, elle a été la mienne dans le démarrage de cette aventure collective de la maison des chômeurs de Toulouse, elle est celle de l’économie solidaire qui s’appuie sur des pratiques concrètes.

C’est ce pragmatisme qui m’ a conduite à l’occasion de mon bref passage au CNLE à envisager l’évolution du cumul des minima sociaux et la reprise d’activité, parce qu’il reflétait les stratégies individuelles de survie – et ce dans l’illégalité – de nombreuses personnes que nous rencontrions. Mon premier réflexe n’a pas été de penser que « je faisais le jeu du patronat » ! Le cadre juridique et législatif de telles perspectives pourrait certainement limiter et corriger l’exploitation abusive qui pourrait en être faite par les employeurs. Mais là bien évidemment il faut oser réformer. Le syndicalisme est-il prêt à s’ouvrir à de telles perspectives ?  Au minimum en débattre. Il le pourra davantage en reconnaissant la nécessité de soutenir un syndicat d’intermittents. Ces cumuls permis, anticipés ou pas,  sont depuis longtemps des pratiques.

 L’EVOLUTION DU RMI

La loi sur le RMI a été votée parce que nous découvrions dans le pays des « disparus économiques ». Déjà l’allocation des fins de droits quittait un financement de solidarité salariale et patronale d’assurance, pour un financement de solidarité nationale de l’Etat. Deuxième étape, l’assurance chômage et l’Allocation de Fin de Droits ne suffisent plus et plus d’un million de personnes, au moment du vote de la loi, n’ont aucune ressource – nous étions souvent encore dans des discours conjoncturels sur le chômage –  le RMI est voté par l’Assemblée nationale tous partis politiques confondus.. Il va installer dans le pays des droits nouveaux mais aussi le leurre d’ un sas d’attente qui donne l’illusion qu’avec une bonne insertion chacun va  pouvoir trouver un emploi. Que l’emploi se raréfie et que beaucoup de gens soient en concurrence quand il se présente n’est pas dit. Pourtant « il manque deux millions d’emplois en France en deux mille cinq. »(9) 

A l’origine du syndicat des chômeurs de Maurice PAGAT c’est « un revenu social garanti » qui est demandé. Les associations familiales et ATD Quart monde soutiennent eux aussi cette revendication. Revenu social garanti, inconditionnel ou pas,  cumulable ou pas avec une activité salarié. De nombreux travaux cités dans ce livre, ont suggéré des évolutions qui ne sont pas arrivées à convaincre les responsables politiques de la nécessité de remettre en chantier à la fois une évaluation et des évolutions de notre RMI. L’Organisation Internationale du Travail organisait en septembre deux mille à Genève, un congrès sur le « BASIC INCOME EUROPEAN NETWORK ». La présence de Dominique PECCOUD à l’OIT, et le souvenir du travail accompli ensemble - alors qu’il était le trésorier de la maison des chômeurs -, autour des questions soulevées par le Revenu d’Existence de Yoland BRESSON, l’ont conduit à m’inviter à participer à ce congrès. Les différentes approches et expériences en cours dans le monde entier confirment combien la question du revenu social garanti même si elle ne jaillit qu’autour « du chômage et de la pauvreté » est une perspective qui s’annonce à l’horizon de tous et pour tous. Par conséquent une fois que l’on essaye d’ intégrer cette dimension nouvelle, celle de  l’évolution juridique des contrats de travail – quand on change d’ère – peut et doit  être  pensée et envisagée. De même, la question de bâtir une protection sociale sur la famille ou sur la personne pourrait être posée ? Comment supporte-t-on en France que les Allocations Familiales ne tiennent pas compte des revenus des familles alors que les n ombreux rapports sur la pauvreté nous alertent de son accroissement continue ? La croissance est  au rendez-vous de la seule pauvreté. Comment redistribuer plus équitablement ?

 Ce qui est notable c’est le glissement qui s’est opéré et s’accélère, des chômeurs ressortissant de l’UNEDIC  - il faut savoir que seulement quarante-deux pour cent de chômeurs sont indemnisés par les ASSEDIC - vers le RMI. Politique délibérée probablement ( notamment pour les intermittents du spectacle) pour faire diminuer les chiffres du chômage.. Vingt-et-un mille personnes au RM en Haute Garonne ne sont pas inscrites à l’ANPE sur trente mille !(10) Ces personnes sont découragées de s’inscrire, leur inscription n’est pas obligatoire. « Le chômage est moins traité comme un problème qu’accepté comme solution »(11).Solution régressive d’une classe de pauvres abandonnés à l’assistance.

Avec de telles évolutions, les Conseils Généraux vont avoir à gérer une ANPE bis des petits boulots. Ils ne pourront pas sans fin voir augmenter le nombre de bénéficiaires à occuper dans l’insertion sans crier « halte », et pas uniquement au regard du seul aspect de l’accroissement financier conséquent, mais aussi face à l’impossible poursuite d’une telle mission. Il va devenir de plus en plus indispensable de  remettre tout à plat pour envisager sur le plan national l’avenir du RMI en terme d’évolution. Là encore il serait utile d’écouter ceux et celles qui parviennent à survivre – mal -  de cette seule ressource. Ils  sont trop souvent décrits comme profitant de l’assistance par ceux  qui s’autorisent à en parler  à leur place sans avoir pris le temps d’en discuter longuement avec eux. Publier  la situation des personnes au  RMI actuellement, au regard de leur qualification et de leur âge, pourrait être une découverte ahurissante pour nos concitoyens et confirmerait la nécessité de nouvelles modalités d’accès à l’emploi dans ce changement d’ère que nous subissons aveuglément. 

 L’ECONOMIE SOLIDAIRE

Durant ces années de militantisme et grâce à la participation de notre Réseau au regroupement connu à ce moment là comme « Inter – Réseaux de l’Economie Solidaire » aujourd’hui le MES Mouvement pour l’Economie Solidaire, nous avons découvert que notre bricolage associatif et notre programme de création d’activités économiques le 5C, pouvaient s’inscrire dans un ensemble visant à faire reconnaître un secteur économique, celui de l’économie solidaire. Le bref passage d’un Secrétariat d’Etat du même nom a facilité le repérage et l’émergence de cette présence de l’économie solidaire dans différentes Régions. Aujourd’hui Jean-Louis LAVILLE  continue à contester que « capitalisme et marché suffiraient à caractériser le seul modèle économique réaliste et désirable. Dans son dictionnaire(12) « l’autre économie » il se défend de promouvoir un autre modèle « le terme renvoie plutôt à la capacité de résistance des sociétés ». Il insiste beaucoup sur le point de départ d’expériences « ouvrant l’économie à des finalités telles que la justice sociale ou l’environnement, et ainsi cherchant à la démocratiser. » Il défend une économie plurielle : « l’économie réelle n’a jamais été unique, ni l’économie de marché capitaliste la seule économie possible. C’est ce qu’ atteste par exemple l’existence dans les pays du Nord de l’économie non marchande, sous l’égide de l’Etat, et de l’économie populaire dans les pays du Sud. » Ce que j’apprécie beaucoup dans la démarche de Jean-Louis LAVILLE c’est sa volonté de partir « des pratiques concrètes » ici et ailleurs. La dimension internationale ne peut être qu’ouverture d’esprit pour accéder à la nouveauté indispensable. Ceux qui ont pour profession d’observer la société y trouvent les ferments du changement. Pourquoi les changements ne suivent-ils pas ? La résistance à l’hégémonie de l’économie ultra libérale que représente l’économie solidaire est indispensable. La résistance  à l’évolution du modèle salarial dominant est nuisible. « Le chacun pour soi équivaut à un moins pour tous. … Comment s’en accommode-t-on à propos du chômage ? C’est tout simple : on dissimule derrière des effets oratoires le consensus inavouable que  la sécurité des uns et inévitablement payée par l’insécurité des autres. »(13)

 

Le commerce équitable est devenu en quelques années plus familier aux consommateurs que nous sommes. Les finances solidaires s’organisent autour de la création d’activités économiques. La prospective – peut-être la plus nouvelle – consiste, de mon point de vue, dans le projet d’une seconde monnaie : le SOL. Présenté à l’université d’été du Centre des Jeunes Dirigeants de l’Economie Sociale ( CJDES) en deux mille, ce projet est né d’un groupe de travail réunissant des mutuelles de santé et d’assurances, des banques de l’économie sociale, et un certain nombre de réseaux et médias. « Concrètement l’utilisateur reçoit des SOLs soit en achetant certains biens et services de l’économie sociale et solidaire, soit en s’impliquant dans la vie de la société : bénévolat pour une association d’alphabétisation par exemple. Comment utiliser ces SOLS ? : acheter des biens et services de l’économie sociale et solidaire : commerce équitable, assurance mutuelle plutôt que privée. S’en servir aussi pour accéder à des biens collectifs, pour l’accès à la culture, aux équipements sportifs de la ville etc …. Le SOL fonctionnerait en circuit fermé, avec une conversion en monnaie officielle : la structure qui voudra donner des SOL devra les acheter et celle qui en recevra se les fera rembourser ou s’en servira pour payer des prestations qui lui seront rendues. Les particuliers, eux, ne pourront pas les convertir. C’est donc une monnaie qui sera affectée aux réseaux de l’économie sociale et solidaire. »

Cette présentation  a beaucoup intéressé les trois toulousains du réseau des maisons de chômeurs, présents à cette université d’été. Personnellement j’y voyais la possibilité de consolider les activités des chômeurs - créateurs que nous suivions dans le centre de contrôle de gestion du 5C. Partant à la retraite j’ai laissé ce projet passionnant en l’état de la connaissance que ses promoteurs nous en ont donnée ce jour-là.

Inscrite dans de nombreux fichiers nationaux et locaux, c’est sur mon adresse électronique que j’ai reçu des nouvelles du SOL très encourageantes. Une association nationale « SOL » est créée, elle mène une étude, doit élaborer une charte d’utilisation du SOL, organise la concertation. Cette association effectue aussi « un recensement des besoins sociaux et écologiques, crée des comités de pilotage locaux, labellise les produits et services …. »

Une expérimentation est en cours dans trois régions françaises : Bretagne, Ile de France, Nord Pas de Calais. Des perspectives d’extension nationale après « analyse et perfectionnement » sont prévues et ce en relation avec d’autres projets européens. Cette information sur le SOL évoque aussi pour moi ce que me disait André GORZ dans une correspondance de novembre deux mille où nous échangions sur le livre « Les aventuriers de l’économie solidaire ». Il m’écrivait ceci : « Il faut savoir que les revenus financiers représentent actuellement déjà quatre-vingt pour cent des revenus du travail, que leur part dans le PIB ne cesse de croître et que ces revenus, qui n’ont pas un travail identifiable pour contre-partie et pour source, sont dans une très large mesure des revenus primaires ( et non des revenus de transfert) obtenus par émission de monnaie. D’où la plausibilité et la légitimité de l’idée d’un service public national ( non nécessairement étatique) des « ressources humaines » qui « suive, conseille, aide à former et à se reconvertir les individus …. financé par l’émission d’une monnaie spécifique et assurant un revenu de base à chacun. » » ( revue Alice page 34 Col.2)

 

Cette expérimentation parviendra-t-elle à mobiliser les acteurs de l’économie solidaire ? Quoi qu’il en soit, elle ouvre un chemin à   encore plus de visibilité et de moyens de développement à une économie solidaire en marche dans le monde entier.

La deuxième expérience politique d’un Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire se déroule au Brésil. Ce Secrétariat travaille à aider le passage d’une économie informelle de survie à une économie solidaire « garantissant des revenus » et assortie de nouveaux droits sociaux. C’est un chemin d’avenir pour tous.

Espérons que les prochaines élections ramèneront dans notre pays un Ministère de l’économie solidaire. Ce qui me semble le plus urgent cependant, concerne le rapprochement du syndicalisme des salariés et des maisons des chômeurs. L’expérience possible et manquée avec la commune de Labège en Haute Garonne et son Député- Maire ( qui avait fait adopter le principe du chèque « associatif-syndical » à son Conseil Municipal (14)  alors que nous avions opté pour une action sur le plan national )  me laisse à penser qu’il serait souhaitable d’envisager un premier contact, avec les syndicats qui l’accepteraient, au niveau des lieux d’implantation des maisons des chômeurs. Les Comités de liaison de l’ANPE à revitaliser et l’opportunité d’un nouveau syndicat, représentant et consolidant ces nouveaux emplois intermittents , sont des perspectives accessibles. Mises en œuvre localement ces perspectives pourraient installer le dialogue nécessaire et elles révèleraient qu’il est possible d’ appliquer aux syndicats, aussi,  cette démocratie participative tant souhaitée. De la grève de la faim de Maurice PAGAT dans les années mille neuf cent quatre-vingt-deux qui a lancé ce mouvement au non aboutissement du syndicat des chômeurs qui devait se faire entendre en s’opposant aux syndicats des salariés, il est l’heure d’une autre approche : celle d’avoir un objectif commun.

 

Annie DREUILLE

 

NOTES

 

-          (1) Guerre aux chômeurs ou guerre au chômage ». Emmanuel PIERRU. 2dition Croquants

-          (2) « Les chiffres bidons du chômage ». La Dépêche du Midi 1er Mars 2006. B. DILLIES

-          (3) Nouvel Observateur. Jean-Claude GUILLEBAUD. « Les représentations du réel ne fonctionnent plus. »

-          (4) « Changer d’ère. Jacques ROBIN. 1989. Seuil. Jacques ROBIN est Directeur de la Revue : Transversales- Sciences – Culture.

-          (5) Salah AMOKRANE, « Les aventuriers de l’économie solidaire ».

-          (6) La Croix. Jeudi 22 Septembre 2005. Dossier Hannah ARENDT

-          (7) Dominique MEDA et Alain LEFEBVRE « Faut-il brûler le modèle social français ? » Seuil 2006- p 103

-          (8) Dominique MEDA et Alain LEFEBVRE « Faut-il brûler le modèle social français ? » Seuil 2006- p 82 - p115

-          (9) Jean-Baptiste de FOUCAULD. « Partis politiques et chômage ».Dans ce livre.

-          (10) La Dépêche du Midi déjà cité

-          (11) Michel ALBERT « Le pari français »p 177

-          (12) Libération Samedi 18 et dimanche 19 Février 2006. Rencontre week-end.

-          (13) “Le pari français” déjà cité. P 184

-          (14) Débat à la maison des chômeurs sur la proposition du chèque associatif-syndical de JB de Foucauld avec les députés de la Haute Garonne en 1992. Claude DUCERT, député-maire de la commune de Labège proposait une expérimentation au niveau municipal.

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